Procédure de naturalisation, procédure de déshumanisation

Gigliola

dimanche 8 septembre 2024, par UL CNT 13

Nous avons reçu ce texte d’une camarade sympathisante enseignante. Nous avons voulu partager son témoignage très éclairant sur le traitement réservé aux personnes en demande de naturalisation, et qui en dit long sur ce que peuvent subir celles et ceux qui font toute demande, de naturalisation, d’asile, ... pour avoir le droit de vivre librement là où elles le souhaitent.


Procédure de naturalisation, procédure de déshumanisation

« Vous avez un petit accent Madame… Vous venez d’où ? D’Espagne ? ». Combien de fois m’a-t-on posé une question similaire ? Des centaines. C’est une question compréhensible, bien entendu, mais il y a un fond amer que je perçois à chaque fois. C’est un peu comme si mon accent, totalement italien, me caractérisait et précisait que sans faute aucune je suis “ÉTRANGÈRE”. Cet adjectif appartient au champ lexical d’”étrange”, synonyme de “bizarre”, “inhabituel”…Voilà une autre “bizarre” qui a débarqué sur le territoire français ! Voyons, on n’en finit plus ! De plus, son prénom est imprononçable !!

Pourtant, je réside en France depuis 18 ans. Mes enfants sont nés ici et ils ont la double nationalité parce que leur père, italien comme moi, a été naturalisé il y a 13 ans et ils sont devenus français par conséquent.

J’ai également essayé de demander ma naturalisation il y a 13 ans, mais à l’époque il fallait rendre le dossier en main propre à la préfecture entre 9h et 12h. Je me suis bien présentée sur ce créneau, vers 11h et j’ai reçu en réponse : « Il y a déjà 7 personnes aujourd’hui, Madame. Venez un autre jour. », on m’a expliqué… normal, non ? À quoi bon préciser des horaires s’il y a un quota de personnes recevables par jour ?

Il y a 13 ans, c’était à Grenoble et j’habitais à une vingtaine de kilomètres de la préfecture de l’Isère. Avec un enfant de 2 ans et un nouveau né, vous comprenez bien que ce n’était pas possible pour moi de m’y rendre tous les jours pour essayer ma chance d’être reçue avec mon dossier.

Mais il n’y avait pas que des contraintes pratiques pour moi. Au fond, je ne ressentais pas beaucoup la nécessité de faire cette démarche de naturalisation, parce que j’avais bel et bien le droit de séjour en France en tant que citoyenne de l’Union européenne. J’ai alors tout laissé tomber et j’ai voulu oublier la mauvaise expérience.

Depuis, j’ai passé un concours national de la fonction publique (le CAPES) et je suis devenue professeure du 2ᵈ degré. Et oui, il y a bel et bien des enseignantes statutaires non françaises ! Quelle surprise pour plusieurs personnes, même pour les collègues !

L’obtention du titre de fonctionnaire de l’État mais aussi le contexte politique tendu à chaque élection présidentielle ou législative m’ont poussée à retenter la démarche de naturalisation.

En 2022 j’ai alors pris le temps de monter à nouveau ce célèbre dossier, constitué de plusieurs dizaines de documents visant à TOUT SAVOIR DE MA VIE (mes données, celles de mes parents, de mon conjoint, de mes enfants) et j’ai envoyé le pli par courrier comme demandé cette fois à la préfecture des Bouches du Rhône, étant donné que j’ai quitté l’Isère entre-temps, pour le 13. « Le dossier sera traité au minimum 18 mois après sa réception », je l’ai bien lu quelque part.

J’ai alors attendu… jusqu’en mai 2024. Un courrier me signalait que quelqu’un avait bien pris en main mon dossier mais que plusieurs documents manquaient au dossier pour qu’il soit traité : FAUX ! Tout simplement, presque 2 ans s’étaient écoulés depuis mon envoi et la préfecture voulait avoir les documents récents de moins de 3 mois par exemple pour un justificatif de domicile ou de l’année passée pour l’avis d’imposition. Même le certificat de naissance de mes enfants devait être renvoyé, comme si les enfants auraient pu changer de date ou lieu de naissance entre-temps.

Mais j’ai bien aimé la tournure de leur phrase, comme si c’était “de ma faute” et qu’ils me faisaient gracieusement don d’un mois (et pas un jour de plus !) pour pouvoir envoyer tout ce qu’ils demandaient.

J’envoie le tout, contente quand même de savoir que l’affaire avance.

Fin juin 2024 je suis alors convoquée par la gendarmerie de mon secteur de résidence. Je m’y rends le jour convenu : un entretien d’une demi-heure pendant lequel la gendarme, bien gentille, me lit patiemment les questions d’un formulaire édité par la préfecture… Elle tape tout ce que je dis. Je vois ce qu’elle écrit à l’écran de son ordinateur et je me rends compte qu’elle fait plusieurs fautes d’orthographe. Gentiment, je lui propose quelques corrections, peut être une déformation professionnelle.

Son collègue, présent dans le bureau, intervient à la fin de l’entretien : « Franchement, vous habitez en France depuis 18 ans et vous êtes fonctionnaire de l’État. Je ne vois pas pourquoi ils devraient vous refuser la nationalité, parfois ils la donnent à n’importe qui ! Ils font chXXX ceux de la préfecture ! ». Je suis d’accord avec lui, même si j’aurais exprimé le concept différemment…

Et voilà que fin juillet ENFIN la préfecture m’appelle et me laisse un message sur le répondeur téléphonique. Le service naturalisation me demande de les rappeler pour convenir d’un RDV. Pas futé : le message vient d’un numéro caché et la voix enregistrée ne dit pas le numéro téléphonique à rappeler. Je contacte le numéro d’accueil de la préfecture qui me dit que le service naturalisation n’a pas de ligne téléphonique accessible. Je croise les doigts pour que le service naturalisation me rappelle et que j’arrive à décrocher vite l’appel. C’est le cas et nous convenons d’un RDV pour l’entretien “obligatoire”. Je reçois une convocation par mail et par courrier : il faut que je me présente le « 21/08 à 9h30 précises LT » (Local Time… il vaut mieux le préciser, on ne sait jamais !).

« Dois-je amener des documents ? », je demande à la dame par téléphone ? « Oh oui, quelques-uns… tout sera précisé dans votre convocation. »

Effectivement voilà une nouvelle liste d’une vingtaine de documents à présenter (ENCORE !), des nouveaux documents et des mises à jours de ceux déjà envoyés précédemment.
Quand j’ai vu cette liste de “derniers” documents, j’avoue que j’étais découragée, car je m’attendais pas du tout à devoir présenter encore et encore des papiers… Mais je me suis dit que c’était la dernière étape.

De plus, j’étais prévenue que j’aurais dû répondre à une série de questions sur l’histoire, la culture et la législation française. Il fallait donc apprendre le contenu du “LIVRET DU CITOYEN”. Seulement la version 2015 était disponible sur le site de la préfecture des Bouches du Rhône… un peu vieillote avec encore les 22 régions en France métropolitaine.

J’apprends et je révise le contenu du livret comme une bonne éléve. Le jour J je me sens un peu tendue, mais prête à montrer que j’adhère aux principes et valeurs essentiels de la société française. Oui, je peux être considérée comme assimilée à la communauté nationale, selon les termes employés dans le livret.

J’arrive à la préfecture bien avant l’heure convenue, je passe les contrôles de sécurité et on m’indique où aller. La salle d’attente semble un espace neutre, sans histoire. Une série de sièges noirs où l’on attend à côté d’une série de portes grises avec un numéro blanc sur chacune : 1, 2, 3, 4 … 10 toutes les mêmes. C’est déprimant !

Je m’assois et je perçois la tension de tous les autres qui attendent avec moi. Pas un seul mot circule dans la salle, on se regarde à peine dans les yeux. Un premier appel est fait : « M. Tel… bureau 4, s’il vous plaît ! »… Mon tour arrive aussi, je suis étonnée d’être appelée une demi-heure avant le RDV de 9h30 (heure précise, LT).

Bureau 1 : je rentre. Une jeune femme, avec un manque total d’expression sur son visage me reçoit. Elle doit avoir une vingtaine d’années, je pense qu’elle apprend encore son métier… mais elle joue le jeu d’une professionnelle. Bien !

Elle me demande de lui montrer mes documents. Ça commence mal : je n’ai pas fait une photocopie de ma carte d’identité, mais j’ai l’original sur moi. Assez ennuyée, elle se lève alors pour aller gracieusement en faire une et en me faisant comprendre que c’est un effort immense de sa part.

Deuxième point : “carte d’identité OU certificat de nationalité française” de mes enfants. J’ai une copie de ce dernier. « Et leurs cartes d’identité ? ». « Ben, je ne les ai pas. Sur votre liste de documents à présenter il y a marqué “OU”, je n’ai donc apporté que le certificat de nationalité ». « Et vous n’avez pas leur passeport non plus ? » (Mais selon toi ?). Mais bon, ça passe.

On arrive au DERNIER POINT de la liste : le formulaire P237. « Il n’est pas à votre nom, Madame ! », « Comment ça, il n’y a pas mon nom avec celui de mon mari ? » « Non, il n’est qu’à son nom. Sur la liste, je vous avais bien indiqué qu’il fallait le présenter à votre nom ! ».

Je commence alors à paniquer, je vois bien qu’il y a une erreur de ma part, mais je me dis que ce n’est pas si grave, c’est le nom de mon conjoint après tout, le formulaire statue sur la situation fiscale et payant les taxes ensemble, le résultat aurait été le même qu’il soit à mon nom ou au nom de mon conjoint.

« Je vais demander à mon supérieur ». La jeune dame disparaît dans les coulisses, pendant une dizaine de minutes. Je garde mes émotions, je me rassure en pensant que tout ira bien se passer. Je suis confiante.

De retour, le visage ferme et neutre elle m’annonce alors : « Ce formulaire n’étant pas à votre nom, nous allons classer votre dossier, Madame ». « Classer ? », « Oui, nous allons classer votre dossier. Vous devrez refaire une autre demande ».

Et c’est là que toute ma tension fond en larmes : « Mais ça fait 2 ans que j’attends ! » Aucune réponse de sa part. « C’est le nom de mon conjoint, ce n’est pas un inconnu ! ». Je cherche quelques solutions de la dernière minute, après tout j’ai été reçue en avance peut-être que je peux rapidement obtenir le document…

Mais rien n’y fait. La seule réponse est un “NON” catégorique à chacune de mes propositions. C’EST FINI, IL FAUDRA TOUT RECOMMENCER. « Mais maintenant tout se passe au format numérique, ça va beaucoup plus vite. En 2 ou 3 mois le dossier est traité ». JE N’Y CROIS PAS !! Mais je garde ma dignité, malgré les larmes.

Avant de partir j’ose alors lui dire : « Je suis fonctionnaire de l’État, bien évidemment je paye mes impôts ! Je sais que vous n’y êtes pour rien mais c’est absurde ! Et encore je me sens privilégiée ! » C’est vrai, je me sens privilégiée parce que l’obtention de la nationalité française ne me changerait pas vraiment la vie, je ne risque pas d’être expulsée du territoire (au moins pour l’instant).
Je voulais lui dire aussi que en classant le dossier tout le travail accompli par les autres fonctionnaires de l’État impliqués dans la procédure de ma naturalisation partait à la poubelle, mais je n’ai pas osé.

Mais à mon sens, ce qui est le plus ABSURDE dans toute cette histoire c’est le fait que, en tant qu’enseignante, je participe à la formation des “citoyens français”, sans en devenir une, moi-même ! Tout ça pour UN DOCUMENT SUR UNE CENTAINE DE DOCUMENTS !!!

Liberté, Égalité, Fraternité… faut-il encore croire qu’ils sont les valeurs de la préfecture, et de tout ce qu’il y a au-dessus ?

Gigliola