mercredi 20 avril 2016, par
Mercredi 25 mai a eu lieu le procès des deux militants interpellés le 20 avril dernier dans les locaux de la CNT à Lille, après que les forces de maintien de l’ordre dominant en ont défoncé la porte. L’un a été relaxé, l’autre a été condamné à 6 mois de prison avec sursis, sans preuves tangibles. Retour sur cette affaire...
Cette journée de manifestation s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la loi Travail, une attaque frontale contre les droits collectifs des travailleurs et des travailleuses, qui se maintient voire s’amplifie depuis plusieurs mois. Les manifestant-e-s les plus déterminé-e-s se trouvent en tête de cortège, une fois n’est pas coutume. Vers 15h, bloquée rue Nationale par la police, la manifestation doit modifier son parcours et s’engager dans la rue de l’Hôpital Militaire. Dissimulés dans le porche d’une école de commerce, des agents de la BAC sont aux aguets. Ils surgissent sans brassards ni signes distinctifs et tentent d’interpeller des colleurs d’affiches. Des manifestant-e-s s’interposent, ils comprennent bientôt qu’il s’agit d’agents de police. Une vidéo présentée lors du procès montre les policiers se replier sans difficulté dans l’école. L’ambiance est tendue, mais la violence toute relative. C’est cette altercation assez confuse entre des manifestant-e-s qui se défendent et des policiers rapidement débordés qui sera montée en épingle pour justifier l’interpellation des deux militants. Le soi-disant lynchage ne donnera lieu qu’à un seul jour d’ITT pour l’un policiers. Autre « événement » lors de la journée : la caméra d’un journaliste (JRI) de France 3, filmant de près des manifestant-e-s qui ne souhaitent pas l’être, est barbouillée de colle. L’affaire est revisitée par M. Belleli, rédacteur en chef de France 3 Nord Pas-de-Calais : le journaliste aurait été agressé et frappé par deux ou trois manifestants cagoulés que celui-ci désigne dans un entretien donné au site Arrêt sur images comme étant des militants de la CNT. Cette affirmation est évidemment fausse et clairement diffamatoire. On se demande bien sur quels éléments celui-ci a pu se fonder pour appuyer de telles inepties.
Suite à la manifestation, un groupe d’une cinquantaine de personnes prend la direction de la rue d’Arras pour tenir une AG de lutte à la librairie occupée L’Insoumise située dans la même rue que le local syndical de la CNT. Le groupe est chargé et se disperse. Certains camarades que nous connaissons pour avoir partagé avec nous bon nombre de luttes trouvent alors refuge dans notre local. Les premières versions policières, parfois reprises par les médias, font état d’agressions dont ils auraient été victimes aux alentours. Ces versions ne seront pas maintenues : c’est bien l’altercation de la rue de l’Hôpital Militaire à 1,6 km de là et longtemps auparavant qui sera finalement utilisée pour justifier la procédure de « flagrant délit » qui va suivre. Quoi qu’il en soit, la rue est bouclée, les passant-e-s goûtent aux gazeuses et un dispositif policier complètement démesuré se met en place. Sans aucune explication, les policiers exigent de pouvoir pénétrer dans le local. Ben voyons ! Pour quelles raisons les camarades réunis pour débriefer la journée devraient-ils (et elles) se plier à cette injonction ? Un local syndical est un outil de défense des travailleurs et des travailleuses, les documents administratifs et juridiques qui s’y trouvent sont confidentiels et potentiellement sensibles ! Comme le rappelle l’OIT (Organisation Internationale du Travail) : « En dehors des perquisitions effectuées sur mandat judiciaire, l’intrusion de la force publique dans les locaux syndicaux constitue une grave et injustifiable ingérence dans les activités syndicales » (La liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT, 2006, paragraphe 181). Mais foin des principes démocratiques ! Vers 16h40, la police finit par défoncer la porte à coups de bélier. Les forces de maintien de l’ordre dominant retournent alors une partie de matériel et se permettent de fouiller les lieux sans contrôle de quiconque (une plainte sera prochainement déposée pour ces atteintes à nos droits syndicaux). Au cours de sa visite, la police sélectionne trois camarades qui sont sortis du local. Deux d’entre eux seront finalement interpellés, pour l’exemple. Enfin, en quittant les lieux, un commissaire déclare aux militant-e-s resté-e-s sur place : « Vos deux copains sont déjà déférés au Parquet. Quant à vous, si il y a du bordel la semaine prochaine, vous serez les prochains ! ».
Le 20 avril, comme la loi le leur permet, les deux camarades interpelés ont refusé d’être jugés en comparution immédiate. Ils ont été laissés libres par le juge des libertés avant leur jugement en correctionnelle le 25 mai pour « violences sur agents de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions ». Durant l’audience du 25 mai, les camarades ont réaffirmé qu’ils n’avaient pas commis les faits qui leur étaient reprochés : ceux-ci étaient bien à la manifestation mais ils ne sont pas concernés par l’accrochage du porche de l’école de commerce. Des témoignages sont venus confirmer leurs propos. Les policiers eux-mêmes ont été en difficulté pour expliquer de quelle manière les deux camarades auraient été impliqués. Mais ils les ont vus, c’est sûr... Ou au moins leur veste. Pour prouver leur innocence, une vidéo de l’altercation a été produite par un témoin de la défense. Sur cette vidéo, aucune trace de Benjamin : l’accusation des policiers s’effondre, il sera relaxé. Martin non plus n’apparaît pas sur la vidéo. Pourtant l’un des policiers maintient son accusation : il dit avoir été agressé par une personne portant une veste de jean avec un col en fourrure (ce qui correspond à ce que Martin portait sur le dos lorsqu’il a été interpellé dans les locaux de la CNT, ce que les policiers n’ont pas pu manquer d’observer). À partir de là, Martin a eu beau expliquer que ce type de veste est très courant et qu’il n’était sûrement pas le seul manifestant à être habillé de cette façon, rien n’y a fait ! Même sans preuves tangibles, la justice de classe le condamne à 6 mois de prison avec sursis, à une interdiction de manifester à Lille pendant un an et à 500 euros de dommages et intérêts à payer à chacun des quatre policiers plaignants... Son avocate a indiqué que Martin ferait probablement appel de cette condamnation. Pour cela, afin de prouver son innocence, si vous avez des photos ou des vidéos de la manifestation du 20 avril à Lille (notamment lors de son passage rue de l’Hôpital Militaire) ainsi que des témoignages complémentaires à apporter (de quelle couleur était votre veste ?), envoyez-les à ul-lille@cnt-f.org
Depuis quelques semaines, la répression de la lutte contre la loi Travail prend de l’ampleur. On ne compte plus les violences policières et les blessures qu’elles engendrent, les interpellations et mises en accusation toutes plus outrancières les unes que les autres, des militant-e-s ont même été préventivement interdit-e-s de manifestation. Comme pour Martin, il se trouve des tribunaux pour se prêter au jeu. Des peines de prisons fermes ont même récemment été prononcées à Lille. Antoine, adhérent au SEL CGT du Valenciennois et au CAL Valenciennes, se trouve en détention préventive dans l’attente de son jugement. La liste serait trop longue. Le gouvernement veut passer en force, il menace, il organise la division et la diversion. De nombreux médias aux ordres relayent sa propagande et vilipendent les terribles « casseurs », mais jamais la violence du patronat et de l’État qui elle détruit des vies. Les syndicalistes sont sommés de se désolidariser, de condamner. La finalité de ces manœuvres est bien celle-ci : scinder en deux un mouvement de lutte qui se renforce et qui commence à sérieusement inquiéter le Pouvoir.